Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 août 2015 1 10 /08 /août /2015 10:12
JOURNALISTICIDES : CREER LA TERREUR SUR LA ROUTE DE LA VERITE

Chaque fois que quelqu’un approche la vérité, au Mexique (et ailleurs) et que celle-ci peut menacer le pouvoir des gouvernements, des cartels, ou des particuliers, on l’assassine.

Chargé de mener les recherches sur les 43 normaliens d’Ayotzinapa disparus depuis près d’un an sans qu’on ait aucune réponse fiable des pouvoirs publics, Miguel Angel Jimenez Blanco a été assassiné dans une zone rurale près d’Acapulco. Il était chargé de coordonner les recherches et avait cofondé l’Union pour les peuples et organisations de Guerrero (UPOEG) et (SSC) système citoyen de sécurité. Il pensait que les restes des 43 étudiants se trouvaient dans des puits entre Apipilulco et la décharge de Cocula. Il approchait peut-être de trop près la vérité au fond du puits.

Comme les journalistes d’investigation, il cherchait la réalité des faits. Car derrière les informations et les mots ou images, il y a une réalité. Des êtres humains. Des acteurs, des victimes. Des familles devenant victimes à leur tour. La réalité. Au Mexique celle d’un état totalement pourri par la violence et qui ne trouve aucun remède. Une violence fatale à des centaines de milliers de personnes, un véritable génocide (quoique certains députés récusent le terme). On tue tous ceux qui s’opposent et donc on tue les journalistes, activistes, défenseurs des droits, mais aussi les paysans, indigènes, qui veulent vivre tranquilles et protéger leur terre, leur outil de travail, leur vie. Sans parler des femmes qui voudraient empêcher qu’on se serve d’elles.

Le journalisticide va engendrer la peur en s’en prenant à une figure symbolique et que l’on imagine indestructible. Assez intelligent pour passer partout, se mouvoir entre les strates de la société, parler à tous et ensuite trouver les mots, images graphiques, qui font mouche. Il terrorise d’autant plus le peuple que celui-ci pense : « si on s’en prend à eux, qui sont en réseaux, que sera-ce de nous citoyens isolés ? » « Eux qui représentent la liberté d’expression que nous portons en nous mais ne pouvons pas exprimer ! » Ils sont un peu nos étendards.

Dans les pays « démocratiques » beaucoup cherchent à s’aliéner les journalistes. Discrètement. Le commerçant local inondera de vin, fromage, viande, le pigiste chargé de la vie locale. Les maires et élus, lui serreront la main, se lèveront pour l’embrasser-si c’est une femme-, lui enverront des comptes rendus anticipés de réunions. Et dans le cas où il n’obtempèrerait pas ils appellent le rédacteur en chef et le directeur pour le faire muter. L’éloigner, lui confier d’autres tâches.

En France par exemple il est rare que l’on tue un journaliste (le cas de Charlie Hebdo mis à part) mais on lui pourrira la vie. On fera courir des bruits on lui trouvera des faiblesses et on en inventera. On les mettra en scène, discrètement mais sûrement.

Et cela n’est pas une paranoïa. Certains journalistes s’en suicident.

Au Mexique et dans les pays de « dictature parfaite » c'est-à-dire bien cachée, on fait en général assassiner par des sbires, sicaires, narco, délinquants, services secrets…Car il est totalement exclu que les mandataires ou comme on dit au Mexique « les auteurs intellectuels » se salissent le costard cravate. En général le crime est bien maquillé : en accident de la route, en crime passionnel, sexuel, mafieux, en vol…De façon en général à criminaliser les victimes. Pire : après les assassinats les gouvernants annoncent eux-mêmes : « On ne négligera aucune ligne d’enquête » ce qui veut dire qu’on va s’évertuer à noyer le poisson.

Mais le résultat est là. La population sidérée que l’on s’en soit pris à ceux censés l’informer et contrecarrer les mensonges publics, la communauté des journalistes se disant que pour sauver sa peau, mieux vaut traiter de shopping que de faits sociaux ou environnementaux !

Ainsi ces garde-fous, ces fusibles, que représentent les journalistes, sont-ils parmi les premiers atteints en cas de résistance. Avant on aura cherché à acheter leur silence, on aura envoyé la première escadre, avec ses menaces verbales et son omniprésence harcelante. Et si cela ne fonctionne pas, on emploiera les grands moyens.

15 journalistes en 3 ans, dans un état de seulement 72 000m2 ont été assassinés. Sous une même mandature électorale. Soit une moyenne de 5 par ans. Sans compter les exilés et disparus.

100 dans tout le pays depuis 2006. Veracruz compte donc entre assassinés et exilés, plus du 1/4 % de toute la République Fédérale ( Près de 2 millions de Kms2)

Le climat de terreur est donc intense et la plupart soit renoncent soit s’en vont soit ne retranscrivent que les nouvelles officielles pour sauver leur peau.

Car la police complice ne résout pas les enquêtes (quand elle les commence !) et les familles ou amis qui cherchent reçoivent aussi des menaces. Et la justice ne condamne personne. IMPUNITE TOTALE. Impensable en démocratie. Inadmissible pour l’esprit humain.

Le pire est que toutes les manifestations (dont certaines sont alors réprimées) engendrent davantage d’énervement des auteurs de ces crimes. Ainsi depuis la mort de Ruben Espinosa, ces derniers jours la répression a repris dans l’état de Veracruz. Au lieu de faire profil bas, les politiques montrent encore plus leur vrai visage.

Et pour ce qui est des associations locales de protection des journalistes, comment leur feraient-ils confiance puisqu’elles sont des organismes gouvernementaux . Annoncées à grand renfort de presse par le gouverneur lui-même.

Ainsi seul peuvent-ils se retourner vers des associations internationales comme Reporters sans Frontières et autres qui n’ont sur le terrain qu’un pouvoir d’observation mais peuvent faire sortir du pays les journalistes menacés et leur faire obtenir des asiles politiques. Mais pour qui tient à son pays il est terrible de ne plus pouvoir y revenir. Ainsi l’asile politique tombe t-il presque comme une punition en même temps qu’une sauvegarde.

Aussi sans un changement où d’un coup tous les gouvernements coupables seraient traduits devant les peuples pour non respect de la Constitution qui les oblige à protéger le dit peuple, le journalisticide restera l’arme des politiques et glacera d’effroi des états entiers. Quand aux parlements qui devraient faire respecter cette Constitution, ils préfèrent leur tranquillité à celle de leurs administrés. Jusqu’au jour où les vents changent.

NDR « Journalisticide » concept Pluiemexicaine.

Partager cet article
Repost0

commentaires